12 novembre 2020
Né à Herbesthal le 22 août 1929, il reçoit l’habit religieux le 24 octobre 1957, émet profession le 28 août 1959 et est ordonné prêtre le 23 février 1964. Il exerce
successivement les charges de secrétaire de l’abbé général, à Rome, de 1965 à 1968,
aumônier-adjoint aux cliniques universitaires de Mont-Godinne, de 1969 à 1977, curé
à Villingen, dans le diocèse allemand de Freiburg im Breisgau, de 1977 à 1989, prieur à l’abbaye, de 1989 à 1993, curé des paroisses de Leffe, et ensuite Marneffe et Oteppe, dans le diocèse de Liège, de 1994 à 2005, tout en étant aumônier de la communauté « Joie sans frontière », au sein du mouvement Foi et Lumière, à Namur, de 1989 à 1998 et chapelain de la « Maison de Burdinne » de la Militia Christi, de 2001 à 2014. Il s’était retiré à la résidence du Centre Hospitalier Chrétien de Landenne-sur-Meuse où il s’est éteint le 12 novembre 2020 après avoir été soigné avec dévouement.
Le Père Paul était un marcheur. Avant de devenir prêtre, il quitta sa région et sa langue natales pour mener une vie professionnelle bien remplie en Flandre, dans l’administration sociale. Ces longues années passées à Louvain, au cours desquelles un médecin l’aida à réduire et à surmonter son handicap, l’ont conduit comme par contraste à choisir une abbaye francophone. Ce fut pour lui un nouvel exode courageux : à nouveau dans une culture différente, à un âge qui le différenciait beaucoup de ses jeunes condisciples. Sa pérégrination se poursuivit ensuite à Paris dans une communauté de confrères français pour des études pastorales puis à Rome, au service de l’abbé général et de tout l’Ordre.
Un nouveau changement de monde d’ensuivit, non plus géographique mais professionnel, dans le milieu hospitalier. Puis ce fut la Forêt Noire en Allemagne pendant 12 ans et ensuite le priorat, les personnes handicapées avec Foi et Lumière et enfin la paroisse de Leffe avant un dernier exode pastoral dans le diocèse de Liège. Qui d’entre nous peut se targuer d’une expérience aussi diversifiée, aussi multiculturelle et aussi enrichissante ? Qui surtout aurait pu faire de tels bonds de cabri d’un monde à l’autre, d’une culture à l’autre, même si c’était en provoquant de temps en temps quelques éboulements notoires dans les vallées ? Je force le trait de l’image pour mettre l’agilité et la force intérieures du Père Paul en contraste avec ses limites motrices et sa rigidité extérieure.
Sur le plan intellectuel, il savait mener une vraie réflexion théologique et en discuter même si c’était à l’aide d’arguments produits par des théologiens parfois très particuliers et un peu marginaux. Il n’empêche que l’intelligence de celui avec qui le Père Paul
argumentait était convoquée et appelée à une rigueur toujours plus grande.
Au regard de l’Evangile, l’héroïsme et la sainteté sont deux choses bien différentes : le héros mise sur l’effort personnel et la gloire que celui-ci peut apporter ; le saint, lui, s’abandonne à Dieu dans la foi et l’humilité. Le sommet du christianisme est un amour humble et discret, débarrassé des "performances" auxquelles, si souvent, nous le croyons lié.
Cependant chez le Père Paul, sans doute à cause de la faiblesse et de l’impuissance relative de son corps, cette foi était aussi pour lui une manière d’avancer, d’aller toujours de l’avant en surmontant la peur de l’inconnu et de la nouveauté. A sa façon, il a mené une vie missionnaire qui restait constamment enracinée dans une prière fidèle et intense.
Dans son ministère sacerdotal, le Père Paul mettait en pratique ce que l’Apôtre rappelle dans sa lettre aux Corinthiens : les prêtres sont des intendants des mystères de Dieu. C’est une position délicate que d’avoir à gérer des mystères qui par essence sont ingérablesdans leur surabondance. Il faut vraiment se mettre dans l’humble position d’auxiliaire du Christ qui en est le véritable dépositaire. Le Père Paul tenait cette posture avec scrupule jusqu’à en souffrir, parfois.
Sa foi, ferme et pudique, a rencontré bien des épreuves et des déceptions. Mais c’est le propre de l’amour authentique d’être passé au creuset de la déception et du renoncement pour se faire offrande gratuite à la lounge de Dieu. Jésus, lui aussi, a pu légitimement souffrir d’un sentiment d’incompréhension, d’infécondité et d’inutilité devant une mission qui paraissait absurde aux yeux de la plupart des hommes. Mais loin de se décourager, jusqu’au Golgotha, il prie et fait confiance à Dieu son Père.
C’est dans cette confiance que nous inscrivons aujourd’hui le Père Paul par cette célébration. Comme Jésus, il a dû accepter beaucoup de renoncements, il a suscité parfois l’incompréhension des siens. Le renoncement est le marchepied de la plénitude. Les morts à nous-même nous préparent à l’entrée dans la Vie.
Comme le dit encore l’apôtre, ce n’est pas notre conscience qui nous juge, pas plus d’ailleurs que celle des autres. C’est le Seigneur seul qui juge et celui-ci s’est fait petit et pauvre. L’invitation à venir à lui et à prendre son joug nous est adressée comme à de petits enfants. Celui qui est doux et humble de cœur est celui qui s’efface pour nous permettre de l’imiter et d’être ainsi à notre tour Fils de Dieu à sa ressemblance. Le passage d’Evangile qui vient d’être lu clôture un discours de mission.
Ce n’est qu’au moment où nous sommes amenés à proclamer et enseigner la foi que nous prenons conscience de l’ambiguïté et de la fragilité de nos propres options. La mission est l’épreuve de nos doutes refoulés, le bouleversement de nos conceptions et de nos représentations. La mission est d’abord guérison car la réalité du Royaume nous atteint à travers l’appel et l’envoi et c’est alors que nous découvrons sa présence transformante en un homme qui guérit tout en se faisant discret, qui dit la vérité sans compromission tout en restant pauvre, humble et miséricordieux.
Cette célébration eucharistique que nous allons vivre vient creuser en nous cet humble désir de vérité. En nous invitant à la réconciliation des convictions personnelles dans une vérité plus grande et plus belle, elle réforme nos jugements à contretemps et nous donne la sagesse nécessaire pour nous mettre à l’école du bon plaisir de Dieu. Un plaisir qui fait porter d’un cœur léger le fardeau des exigences de la vie et exorcise nos démons.
Un plaisir qui finalement nous empêche ainsi de juger et condamner les autres comme nous-même selon des normes que nous nous infligeons et imposons en fonction d’une hiérarchie trop mondaine des valeurs. Ainsi nous est donné l’Esprit de Dieu qui nous met
à même d’accomplir comme Jésus la volonté du Père au sein d’une vraie famille de frères.
Le Père Paul nous a précédé sur un chemin qu’un jour chacun, chacune de nous empruntera, nous constituant tous frères et sœurs de destin. La seule manière pour nous de bien préparer ce passage, c’est la vie aujourd’hui, une vie qui soit naissance ensembles les uns aux autres dans le respect, selon l’amour qui se donne et s’abandonne sans jamais chercher à posséder. C’est cela qui est conforme à la vérité, parce que c’est comme cela que la vérité se livre à nous en Jésus-Christ.
Que cette célébration soit un moment où, partageant dans la peine l’amour du Seigneur humblement donné à travers la pauvreté de cette eucharistie, nous partagions également l’espérance de tous nous retrouver dans la joie pour boire ensemble le vin nouveau du
Royaume des cieux.
P. Benoît, Abbé